XXXXII Un scénario presque parfait
Amina « là-bas », Kader mort, un boulevard d’Amour s’ouvrait...
Le 21 avril, irai-je vraiment la rechercher ?
Nous rejouerons le 14 avril 2010 ? Je la baiserai et lui balancerai « c’était la dernière fois » ? Non, avec Nadège, ce sera un tel bonheur que l’idée de la toucher me dégoûtera tellement... Elle m’attendra, m’appellera... je ne répondrai pas, elle s’inquiétera... Qu’est-ce qui lui ferait le plus mal ? Un SMS « en souvenir du 14 avril 2010 je préfère me suicider que de venir te chercher une nouvelle fois à Cahors, putain d’Addis » ? Me rendre à la gare puis prétendre que nous partons à Bordeaux chez sa saleté de Kagera et m’arrêter sur une route déserte, prétexter un problème pour m’arrêter, lui demander de descendre et repartir en criant « si tu avais avoué en 2010 plutôt qu’inventer une histoire de submergée un soir, voilà ce que j’aurais fait, sale truie... »
Qu’est-ce que notre couple ? Sous son oreiller, elle avait laissé « voyage au bout de la nuit », qu’elle relisait ces derniers jours. En feuilletant je tombais sur une phrase soulignée « Dans une histoire pareille, il n’y a rien à faire, il n’y a qu’à foutre le camp. » Quand l’a-t-elle soulignée ? Lors de sa première lecture au moment de sa licence ? Ensuite ? Ces jours-ci ?
Des notes dans la marge semblent provenir de ses études « absurdité de la guerre », « image horrible de la mort », « absurdité de la dernière réplique du colonel »…
Certitude immédiate : elle a placé là cet exemplaire pour que je l’ouvre et y découvre l’état de notre couple dans sa tête : « l’amour, c’est l’infini à la portée des caniches » ; « le tout, c’est qu’on s’explique dans la vie. À deux on y arrive mieux que tout seul » ; « Les chats trop menacés par le feu finissent tout de même par aller se jeter dans l’eau » ; « Je croyais à son corps, je ne croyais pas à son esprit. » Et surtout, j’étais sidéré par « La vérité de ce monde, c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n’ai jamais pu me tuer moi. » C’est sa vie ! Pas simplement après le "nécessaire deuil" mais depuis vingt ans ! Je réouvrais le fichier Amina-theatre-realiste.txt pour l’y noter. Oui, elle pourrait murmurer du Céline pour expliquer sa vie. Quatre pages plus loin, elle avait souligné « Nous sommes, par nature, si futiles, que seules les distractions peuvent nous empêcher vraiment de mourir. » J’y considérais un nécessaire rapprochement avec les pensées de Pascal. Puis sur la même page « Il faut se résigner à se connaître chaque jour un peu mieux, du moment où le courage vous manque d’en finir avec vos propres pleurnicheries une fois pour toutes. » Je m’arrêtais là, page 204, de ma recherche de son "message." Stoppé net par une pensée "j’aurais aimé en parler avec toi en 2008, maintenant c’est inutile." Oui, en 2008, j’avais cru en cette harmonie tant recherchée, où l’on se dit tout, sans forcément viser à convaincre l’autre, juste pour échanger, découvrir l’être aimé.
« Les chats trop menacés par le feu finissent tout de même par aller se jeter dans l’eau. » Elle s’est d’abord sentie trop menacée par les hommes musulmans et s’est jetée sur le bon blanc de passage, incapable de nouer la moindre relation en France et effectuant son service militaire « en coopération » dans l’espoir d’y rencontrer une femme... Elle avait certes visé plus haut, un don juan qui a fini par lui présenter « sa fiancée venue lui rendre visite », un premier « avec qui il ne s’est rien passé », simple flirt plus tard contredit par « - J’ai pris une fois la pilule du lendemain, avec le militaire avant Bertrand - Je croyais qu’il ne s’était rien passé - Il ne s’est rien passé... il ne m’a jamais pénétrée, je ne voulais pas avant le mariage, mais il lui arrivait d’éjaculer au bord de mon vagin - Le plus souvent c’était dans ta bouche ? - Je t’ai dit que tu es le premier à qui je laisse faire ça - Dans ta main, ton anus, entre tes seins, alors ? - Oh je ne sais plus, pourquoi je te raconte toujours mon passé, ça me retombe toujours dessus - Le problème c’est que chaque version est différente... » Elle s’est sentie trop menacée dans son mariage donc s’est jetée sur un collègue. Elle s’est sentie trop menacée par notre amour, donc s’est jetée dans les marécages d’Addis-Abeba. Elle s’est sentie trop menacée par les souillures d’Addis-Abeba, donc s’est rejetée dans notre couple...
Finalement, malgré ce sentiment d’aquabonisme, je lui notais ces phrases dans un mail.
J’y ajoutais « On est puceau de l’horreur comme de la volupté. » (page 14) J’avais décidé de le relire. J’aurais préféré retrouver mon exemplaire, avec mes gribouillages mais pas le courage de retourner les cartons à la cave.
Réponse : « Mon Amour,
J’ai déjà lu ces phrases quelque part mais je n’arrive pas à me souvenir.
Elles ne sont donc pas de toi, même si je pense que tu t’adresses à moi.
Quelle est ton intention ?
Ton Amour »
« Mon Amour,
Naturellement, j’ai lu les passages récemment soulignés du livre que tu as laissé sous ton oreiller.
Quelle était ton intention en soulignant ces phrases pour que je les découvre alors que tu séjournes dans une ville que tu apprécies tellement, alors qu’en passant devant le "centre Fidel" peut-être cette fois un petit pincement jaillit quelque part ? Mais où ?
Ton Amour »
« Mon Amour,
Arrête avec tes procès d’intention. J’ai lu ce livre de Céline au moins cinq fois et je ne crois pas avoir souligné d’autres passages la semaine dernière.
S’il te plaît, arrête de me torturer. Tu sais bien que je suis ici pour voir mon fils et je t’appelle chaque soir. À tout à l’heure. Malgré ton petit jeu, tu me manques.
Ton Amour »
En relisant « Voyage au bout de la nuit », je me chargeais de réponses plus ou moins utiles pour expliquer ma dérive, notre union bancale. Je m’étais si longtemps contenté d’un « j’aime nos différences, je crois qu’un homme et une femme peuvent s’aimer sans être d’accord sur tout, ce sont ces différences et notre impossibilité de répondre à la question "pourquoi je t’aime ?" qui font la force de notre couple. Quand on commence à savoir pourquoi on aime quelqu’un, c’est qu’on ne l’aime plus vraiment, car ces choses s’étioleront rapidement. L’amour, c’est un mystère continu...»
Céline "me répondait" : « Philosopher n’est qu’une autre façon d’avoir peur et ne porte guère qu’aux lâches simulacres. » Je m’arrêtais sur « À force d’être poussé comme ça dans la nuit, on doit finir tout de même par aboutir quelque part. » Le matin, j’étais de nouveau "naturellement" passé chez Nadège, je pouvais penser "chez Nadège" mais de nouveau tout était fermé.
Après « Voyage au bout de la nuit », je me suis relu, versant « le roman de la sagesse et du show-biz. » Quelle horreur ! Tout ce que j’ai accepté, j’en avais pourtant parlé dans ce roman, ces dérives qui nous conduisent droit dans le mur avec des années lacérées dans la besace ! J’ai tout écrit de ce qu’il faut refuser et j’ai tout accepté. Maudite Amina qui m’a fait oublier jusqu’à mes meilleures lignes. Oui, j’avais "à cette époque" tout compris ! J’avais "tout compris" non à l’amour mais à ce qui empêche l’Amour ! J’ai honte de m’être oublié, renié. Pourtant chaque soir je lance Skype et Amina me raconte sa journée. Elle me montre qu’elle dort bien dans une pièce peu confortable louée par son ancienne cuisinière, désormais au service de son ex-mari... Elle y passe simplement prendre sa douche chaque jour, chez lui... mais durant son absence, quand il travaille...
Elle me remarque « peu loquace », croit qu’il s’agit d’une conséquence de "la mort de mon ami." Et ajoute immanquablement « c’est horrible ce qui lui est arrivé. » Elle demande même des nouvelles de Nadège. C’était vrai, je n’en ai pas. « Peut-être est-elle retournée là-haut » je conclus. Je ne comprends pas pourquoi elle aurait agi ainsi mais cette seule hypothèse me semble plausible. Pourquoi ne m’a-t-elle pas prévenu ? Là, je n’ai aucune réponse. À part le « elle ne serait quand même pas partie rejoindre ce fils de Carlo ? »
Le roman de la révolution numérique, de Stéphane Ternoise
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